Une découverte archéologique exceptionnelle a récemment captivé l’attention internationale : la plus ancienne momie de bébé connue au monde, trouvée au Chili, a été ajoutée à la prestigieuse Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Cet événement marque une reconnaissance majeure pour le patrimoine culturel et historique du pays sud-américain, mettant en lumière une civilisation ancienne dont les pratiques funéraires continuent de fasciner les chercheurs et le grand public. Cette momie, appartenant à la culture Chinchorro, représente non seulement un témoignage émouvant de la vie et de la mort il y a des millénaires, mais aussi une fenêtre ouverte sur les croyances et les savoir-faire d’un peuple qui a précédé de loin les célèbres momies égyptiennes.

La momie en question a été découverte dans le désert d’Atacama, une région aride du nord du Chili connue pour ses conditions de conservation exceptionnelles. Ces conditions, marquées par une sécheresse extrême et des niveaux élevés de salinité, ont permis à des restes humains de survivre pendant plus de 7 000 ans. Contrairement aux momies égyptiennes, souvent associées à une élite et à des rituels complexes réservés aux pharaons, les momies Chinchorro témoignent d’une pratique plus égalitaire. Les Chinchorro, un peuple de chasseurs-pêcheurs qui vivait le long de la côte du Pacifique entre 7000 et 1500 avant J.-C., momifiaient tous leurs morts, y compris les nourrissons et les fœtus. Cette particularité a intrigué les archéologues depuis leur découverte au début du XXe siècle par l’archéologue allemand Max Uhle.

Ce qui rend cette momie de bébé si remarquable, c’est son ancienneté et les détails de sa préparation. Datée d’environ 5050 avant J.-C., elle est le produit d’un processus de momification artificielle sophistiqué. Les Chinchorro retiraient les organes internes du corps, nettoyaient les os, puis rembourraient la peau avec des matériaux comme des fibres végétales ou des plumes. Dans certains cas, ils utilisaient de l’argile pour modeler les traits du visage, ajoutant parfois des perruques faites de cheveux humains et des masques peints en noir ou en rouge. Cette momie spécifique, probablement un nourrisson ou un fœtus, incarne cette technique dite des « momies noires », une méthode qui a précédé de deux millénaires les pratiques égyptiennes. Les chercheurs estiment que cette attention portée aux plus jeunes membres de la société pourrait refléter une réponse émotionnelle à une forte mortalité infantile, peut-être liée à la contamination de l’eau par l’arsenic dans la région.

L’inscription de ce site sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, annoncée en juillet 2021, ne concerne pas seulement cette momie isolée, mais englobe l’ensemble des sites de peuplement et de momification artificielle de la culture Chinchorro dans les régions d’Arica et de Parinacota. Cette reconnaissance est le fruit de plus de vingt ans de travail acharné de la part des autorités chiliennes, des scientifiques et des communautés locales. L’anthropologue chilien Bernardo Arriaza, une figure clé dans l’étude des Chinchorro, a souligné l’importance universelle de cette culture, déclarant que l’UNESCO validait ainsi sa valeur exceptionnelle à l’échelle mondiale. Cette décision met également en avant la nécessité de protéger ces vestiges face aux menaces croissantes, notamment celles liées au changement climatique.

En effet, le désert d’Atacama, bien qu’idéal pour la préservation naturelle, subit des transformations inquiétantes. L’augmentation de l’humidité due aux changements environnementaux a commencé à affecter certaines momies, provoquant leur décomposition. Des études récentes ont montré que des microbes présents sur la peau des momies, jusque-là inactifs, se réveillent dans des conditions plus humides, accélérant leur détérioration. Ce phénomène a poussé les archéologues à intensifier leurs efforts pour récupérer et conserver ces précieuses reliques. Un nouveau musée climatisé près d’Arica est en cours de construction pour abriter ces trésors, offrant un environnement contrôlé qui pourrait garantir leur survie pour les générations futures.

Mais au-delà des défis scientifiques, cette momie et les sites Chinchorro racontent une histoire humaine profonde. Les habitants actuels de la région, notamment les pêcheurs de Caleta Camarones, ressentent un lien spirituel avec leurs ancêtres Chinchorro. « Ils étaient pêcheurs, comme nous », a déclaré Jorge Ardiles, président d’une union locale de pêcheurs, soulignant une connexion qui transcende le temps. Cette inscription à l’UNESCO ne se limite pas à une célébration académique ; elle vise aussi à stimuler le tourisme archéologique et à responsabiliser les communautés locales pour qu’elles deviennent les gardiennes de cet héritage.

Les recherches sur cette momie et ses semblables se poursuivent. Les analyses ADN et les techniques de datation au carbone 14 continuent de révéler des détails sur la vie des Chinchorro : leur alimentation, basée à 90 % sur les produits de la mer, leur santé, et leurs origines génétiques. Chaque découverte enrichit notre compréhension de cette culture pré-céramique, qui, malgré son absence de monuments grandioses, a laissé une marque indélébile dans l’histoire de l’humanité. Cette momie de bébé, avec ses yeux clos sous un masque d’argile, nous rappelle que même dans la mort, les Chinchorro cherchaient à préserver la dignité et la mémoire de leurs proches, un geste qui résonne encore aujourd’hui à travers les âges.