Depuis que Howard Carter et Lord Carnarvon ont pénétré dans la tombe de Toutankhamon en 1922, une ombre sinistre semble planer sur cette découverte historique. Ce qui aurait dû être un triomphe archéologique sans précédent s’est rapidement transformé en un récit cauchemardesque, alimenté par une série de morts soudaines et de malheurs inexplicables. La légende de la « malédiction du pharaon » est née presque instantanément, capturant l’imagination du public et défiant les esprits rationnels jusqu’à aujourd’hui. Plus d’un siècle plus tard, l’histoire du jeune roi et de son tombeau continue de hanter le monde, oscillant entre fascination morbide et scepticisme scientifique.

Tout a commencé peu après l’ouverture de la sépulture dans la Vallée des Rois. Les journaux de l’époque rapportent une frénésie d’excitation lorsque les trésors enfouis de Toutankhamon – un pharaon presque oublié de la 18e dynastie – ont été révélés au grand jour. Mais cette euphorie a vite cédé la place à une peur viscérale. Quelques mois seulement après la découverte, Lord Carnarvon, le mécène de l’expédition, s’est éteint dans des circonstances troublantes. Âgé de 56 ans, il est mort à l’hôtel Continental-Savoy du Caire, officiellement d’une infection causée par une piqûre de moustique qui s’était aggravée. Cependant, les détails entourant son décès ont immédiatement suscité des spéculations. On raconte qu’au moment précis de sa mort, les lumières du Caire se sont éteintes, plongeant la ville dans l’obscurité – un phénomène que beaucoup ont interprété comme un signe surnaturel.
Les événements étranges ne se sont pas arrêtés là. D’autres membres de l’équipe d’excavation ont commencé à succomber dans des conditions mystérieuses. Arthur Mace, un égyptologue clé, est mort d’un empoisonnement apparent en 1928. George Jay Gould, un riche Américain qui avait visité la tombe, a succombé à une fièvre soudaine peu après. Même le secrétaire de Carter, Richard Bethell, a été retrouvé mort dans des circonstances inexpliquées en 1929. À chaque nouvelle tragédie, les journaux s’empressaient d’alimenter le mythe : le jeune roi, furieux d’avoir été dérangé dans son repos éternel, lançait une vengeance implacable contre ceux qui avaient osé profaner son sanctuaire.

La presse de l’époque a joué un rôle crucial dans l’amplification de cette histoire. Les gros titres sensationnalistes parlaient de « vengeance des pharaons » et de « forces occultes » à l’œuvre. Une inscription supposée trouvée dans la tombe – « La mort touchera de ses ailes celui qui trouble le repos du pharaon » – est devenue célèbre, bien que les égyptologues aient plus tard confirmé qu’aucune preuve de cette phrase n’existait réellement. Pourtant, le public était captivé, et chaque coïncidence renforçait la croyance en une malédiction. Même le chien de Lord Carnarvon, qui aurait hurlé de manière déchirante avant de mourir au même moment que son maître, est entré dans la légende.
Face à cette vague d’hystérie, les scientifiques ont cherché des explications rationnelles. L’une des théories les plus populaires pointe du doigt des moisissures toxiques ou des spores emprisonnées dans la tombe scellée depuis des millénaires. Ces agents biologiques auraient pu être inhalés par les explorateurs, provoquant des maladies graves, voire mortelles. D’autres évoquent des gaz naturels piégés dans la roche ou même des infections courantes amplifiées par les conditions insalubres de l’époque. Howard Carter lui-même, qui a survécu jusqu’en 1939, a toujours balayé ces histoires de malédiction d’un revers de main, les qualifiant de « balivernes » inventées par des esprits superstitieux et des journalistes avides de sensation.
Pourtant, toutes ces explications rationnelles n’ont jamais réussi à éteindre la flamme de la légende. Pourquoi ? Peut-être parce que l’histoire de Toutankhamon touche à quelque chose de profondément humain : la peur de l’inconnu, le respect mêlé de crainte pour les anciens, et une fascination pour l’idée que le passé puisse encore tendre la main pour nous atteindre. Les sceptiques soulignent que des dizaines de personnes liées à l’expédition ont vécu longtemps sans incident, mais les morts spectaculaires restent celles qui marquent les esprits. Le contraste entre la science et le surnaturel continue de nourrir le débat, et c’est précisément cette tension qui maintient la malédiction en vie.
Aujourd’hui, plus de cent ans après l’ouverture de la tombe, l’héritage de Toutankhamon reste aussi puissant que jamais. Les expositions de ses trésors attirent des millions de visiteurs, et les récits de la malédiction continuent d’inspirer livres, films et discussions enflammées. Que l’on croie ou non aux forces surnaturelles, une chose est certaine : le jeune roi, dont le règne fut bref et obscur, a trouvé une immortalité inattendue dans ces histoires troublantes. La malédiction, vraie ou inventée, est devenue une part indélébile de son mythe, un écho éternel de son pouvoir perdu.